mardi 31 mars 2009
Parenthèse : BookTravellers Inc.
Tango
En haut des marches, il faut pousser les portes à droite. La musique est déjà là. La pièce est immense, le plafond à des mètres de hauteur. Lumières tamisées, rougeoyantes et douces autour du bar au fond. Sur les côtés, petits canapés et fauteuils dépareillés autour de tables basses. Entre le bar et la piste de danse sont alignées tables et chaises en tous genres. Les murs sont couverts de tableaux, photos, objets divers et variés. Joyeux bric-à-brac plein de chaleur. Nous nous installons, commandons un verre, et nous laissons très vite happer par le spectacle de la fin du cours. Puis chacun peut aller danser, et cela devient magique. Il se dégage de certains couples une puissance, un bouillonnement d'énergie pourtant tout en retenue qui me surprennent totalement. Fusion des contraires, tension vive, dialogue parfois insoutenable entre l'un et l'autre me semble-t-il... Je n'y connais rien, je n'y comprends rien, je ne peux que ressentir le flot d'émotions intenses qui m'assaillent. J'observe quelques-uns des visages qui expriment une concentration absolue, une profondeur, une vertigineuse descente en soi-même, une forme de soumission à la moindre sensation, au moindre geste ou tressaillement. Comme si le plus minuscule des mouvements avait le pouvoir d'ébranler le monde.
Le soir de mon anniversaire, je suis revenue à La Catedral avec Cathal et Amanda. Nouvel émerveillement. Après la première milonga, deux guitaristes ont pris possession de la scène. Puis un homme les a rejoints au chant. Personne ici n'est professionnel. La passion est leur seul moteur. Je repère certains danseurs que j'avais vus la première fois. Tous sont jeunes. Je ne peux m'empêcher de penser que le tango est une danse verticale, et non pas horizontale. Le déplacement lui-même me paraît accessoire, la tension, le mouvement réel est ailleurs, profondément ancré dans le sol. La dureté, la violence que je percevais jusque-là sont-elles l'expression de la douleur de ce rapport conflictuel à la terre et à l'autre ? J'aurais pu rester des heures et des heures à les regarder.
A Cordoba, enfin, j'ai pu prendre un cours... Franca, Koon, Pete et moi nous sommes mélangés à un groupe aux niveaux variés, dans un autre lieu merveilleux – et caché lui aussi derrière une façade peu avenante. Deux heures sur la piste, à tenter de mettre bout à bout les sensations et les pas. Étrangement, beaucoup de choses me semblent naturelles. J'aime aussi passer du temps à regarder le professeur diriger un couple très jeune et déjà impressionnant. Comment enseigner la retenue et la tension ? Comment parviennent-ils à conjuguer une tension extrême du corps à une telle fluidité ? C'est un mystère qui désormais m'attire plus que tout.
samedi 28 mars 2009
Histoires de bus
A Córdoba, je suis vite devenue une habituée de la station des mini-bus qui permettent d'aller se promener aux alentours de la ville... Première excursion à Villa Carlos Paz. Tous les bus ont les rideaux tirés pour protéger du soleil, je repousse un peu le mien pour regarder les paysages. Córdoba est en plaine, mais les collines puis les montagnes ne sont pas si loin. Carlos Paz est derrière la première rangée de monts râpés, à la végétation courte et rare. Sorte de station balnéaire étrange au bord d'un lac dépourvu de plages. Ce que les locaux appellent « playa » sont les sortes de restaurants aménagés au bord de l'eau et offrant une piscine qui vous ferait presque croire que vous vous baignez dans le lac. Le mini-bus fonce dans les descentes. Ou plutôt, le bruit du moteur et les vibrations sont telles qu'on croit aller à toute vitesse. Mais en fait, non.
Au fur et à mesure que nous nous enfonçons, je vois de plus en plus de cavaliers, montés sur les imposantes selles argentines, ornées de métal ou de tissus colorés. A Villa General Belgrano, il faut prendre un autre bus. Cela fait déjà deux heures que je suis en route. Le trajet semble ne pas avoir de fin. Le second autocar est bien moins fringuant que le premier, il s'élance sur une route loin d'être terminée. Pour le moment ce ne sont que des bosses et des virages aigus. Une heure et demie de progression laborieuse et lente. La Cumbrecita enfin. J'ai à peine quatre heures devant moi si je veux pouvoir rentrer à Córdoba le soir. Je pars marcher, au milieu des chalets suisses... La Cumbrecita est un ancien village allemand, on s'y croirait. Les restaurants touristiques en bas proposent choucroute, forêt noire et autres plats typiques. Étrange. Je monte, quitte les sentiers trop courus, prends un petit chemin qui mène jusqu'à une cascade sublime. Restée là une heure à regarder l'eau tomber, je finis par discuter avec une femme assise un peu plus loin. Mon espagnol trébuche encore un peu, trop à mon goût bien sûr. Mais je parviens néanmoins à m'exprimer à peu près et à comprendre ce que l'on me dit. Il faut déjà partir. Je n'ai pas mon billet de retour, il faut l'acheter au conducteur. Il a l'air pressé, je suis la dernière à monter dans le bus, et il se met immédiatement en route... La porte est ouverte car il n'y a pas d'air climatisé. Je suis devant le marche-pied, accrochée comme je peux, tandis que le chauffeur tient son volant de la main droite et de la gauche imprime mon ticket puis fouille dans sa portière et sa poche pour me rendre la monnaie. La route caillouteuse et irrégulière remonte le long de la montagne, elle tressaute et tourne dans tous les sens. Le regard du conducteur va de sa main gauche au prochain virage. Je sens l'air dans mon dos. J'ai un peu peur de me retrouver dans le fossé, soit toute seule, soit avec le bus tout entier, étant donné la situation. Enfin, je récupère mes pièces et vais m'asseoir. C'est mieux comme ça.
Samedi, direction Mayu Sumaj, bout de plage entre les cailloux sur la rivière. Il n'y a plus de place dans le mini-bus, je me retrouve assise à l'avant à côté du chauffeur. Ça me plaît.
Conversations de voyageurs
2. Aimee : « After Bolivia, believe me, your bowels will never be the same again. » Ici, on parle de diarrhée comme à la maison on discuterait travail : « Alors, c'était comment aujourd'hui ? » Amanda justement vient d'aller faire un tour à l'hôpital allemand de Buenos Aires, condamnée à boire du Gatorade et manger des crackers pendant deux jours.
3. Sujet essentiel en Amérique latine : la drogue. J'avoue, je me suis sentie incroyablement naïve et déconnectée de la réalité. Mes amis irlandais me racontent leurs trips à l'extasy, apparemment devenue monnaie courante à Dublin, anodine, dirait-ils presque. Nous sommes installés au bar de l'auberge, nous avons partagé notre dîner et buvons tranquillement une bouteille de vin argentin. Et peu à peu, je découvre que les uns et les autres ici carburent à la cocaïne. Thomas, baroudeur polonais qui a tout vu, tout parcouru et tout essayé, était devenu la figure phare de l'auberge. Un soir, tous sont sortis en club. Thomas et l'un des Colombiens sont partis chercher de la coke. Revenus en moins de cinq minutes. A Buenos Aires, la chose semble des plus simples. Au moment de repartir en Europe, il a laissé un gramme à Amanda en cadeau. Elle dit ne pas vouloir essayer. Je sens Cathal moins catégorique. Ce qu'ils en ont fait, je ne le sais pas.
A Córdoba, autre style : un soir, nous sommes tous assis dans le patio. Le Tango Hostel est en effervescence : ceux qui s'en occupent reçoivent un immense groupe de leurs amis. L'un d'entre eux s'avance vers nous, nous tend une feuille et nous propose de but en blanc une séance d'hallucinations collectives au « te mezcal ». Sur la feuille est expliqué le rituel, les vertus de la boisson, l'absence de danger – il est tout de même précisé qu'il faut apporter des vêtements de rechange, les plus amples possibles, et que les personnes anxieuses devraient s'abstenir. Sans parler des cardiaques. Personne n'a suivi.
lundi 16 mars 2009
Transports peu communs
Betise : prendre le bus pour traverser la ville de part en part, un vendredi soir a l'heure de pointe, et par 35 degres a l'ombre. La sueur du voisin vous coule sur le bras, les fenetres ouvertes accueillent toutes les emanations des pots d'echappement voisins. Les vehicules sur la route sont a touche touche, ce qui n'empeche personne de rouler a toute allure. Le bus ne fera pas exception. Le premier qui freine a perdu.
Hier soir, Juliette, Benoit et moi montons dans un taxi alpague au coin de la rue. Bientot nous nous agrippons ou nous pouvons, portieres, dossier du siege avant. Le chauffeur se faufile entre les voitures, double de tous les cotes, zigzague comme dans les meilleurs films. La ou le marquage au sol signale trois files de circulation, la realite fait place a quatre, voire cinq, voies simultanees. Les bus forcent le passage a droite, a gauche. Un coup d'accelerateur nerveux et le taxi reussit a passer - par l'operation du saint esprit. Les virages nous propulsent les uns contre les autres. Un coup de frein et je vois la mort arriver. Alors nous nous sommes mis a rire nerveusement, betement. Mais nous sommes arrives entiers.
C'est donc un lieu commun : ici, tout le monde roule comme s'il y avait une femme en train d'accoucher sur la banquette arriere. Pour traverser la route, le pieton doit aussi souvent ruser. Il faut en quelque sorte calculer le laps de temps minimal necessaire pour traverser entre deux voitures arrivant a fond la caisse. Si le conducteur estime que le pieton lui a grille la priorite - car c'est bien dans ce sens-la que les choses fonctionnent - il n'hesitera pas a klaxonner sauvagement, voire accelerer et se rapprocher le plus possible du coupable pour lui faire donner une bonne suee.
Ce soir je prends le bus de nuit pour Córdoba. Autre experience, je verrai bien.
mardi 10 mars 2009
Rituels
J'avais pris de bonnes resolutions : ne faire de marche extensive qu'un jour sur deux, pour eviter la repetition de l'experience new-yorkaise. Reposer mes pieds. Reposer ma tete. Mais evidemment, cela m'est impossible... Alors j'avance, j'avale les kilometres et je rentre avec l'impression de marcher sur des coussins d'air.
Dans les auberges de jeunesse, faire la nouille paye toujours : "comment ca marche, le gaz dans la cuisine ?" Et voila lancee une soiree de conversation a batons rompus autour d'une grande bouteille de vin avec un couple d'Irlandais en voyage. Facile.
samedi 7 mars 2009
lundi 2 mars 2009
Mon sac, n'est même pas fait, je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir fourrer dedans. Ceci dit, je n'ai pas ramené énormément de vêtements d'été, trois robes je crois. C'est tout. Je n'ai même pas de sandales. La chose sera légère ! Mais j'ai l'essentiel avec moi : l'adresse de l'auberge de jeunesse, 50 dollars US, le nom de la navette qui va en centre-ville, un bout de carte. Pour le reste, on avisera sur place.
dimanche 1 mars 2009
Dimanche dernier, personne n'aurait pu me déloger de ma place bien chauffée devant le petit écran. Des pommes, mon Thermos de thé. J'étais fin prête. Ce fut magique. Enfin, les Oscars prenaient chair. Bien sûr, en midinette insupportable, j'ai pleuré avec chaque remise de prix – ou presque. C'est un moment où l'on se sent toujours un peu bête... mais que faire d'autre que se laisser porter par les émotions ? C'est là l'extraordinaire pouvoir du cinéma, nous faire passer par toutes sortes d'états improbables, nous émerveiller, nous terrifier. Toutes choses pour lesquelles je suis plutôt bon public... Alors sans honte ni remords, j'ai pleuré avec Kate Winslet, j'ai ri avec l'équipe de Slumdog Millionnaire, la futilité de l'existence humaine m'a serré la gorge lors de l'attribution de l'Oscar à Heith Ledger. Et au bout de quatre heures, j'étais littéralement épuisée.