mercredi 18 novembre 2009

Faites votre choix - ah non, pas besoin

Ce qui est bien à Vancouver, c'est qu'on peut manger de tout, partout. Vraiment.

mardi 17 novembre 2009

H1N1 mon amour

J'aurais dû m'en douter... Le régime alimentaire de ces dernières semaines - à base de pommes, céréales et pain - accompagné d'un manque de sommeil certain et de quelques bouffées d'angoisses en grande partie résolues maintenant, n'était pas tout à fait de taille à me protéger des attaques sournoises de la grippe. L'amie grippe A (que l'on préfère ici appeler par son nom complet) fait la une de tous les journaux et reste le top 1 des conversations dans la rue. Bien sûr, c'est le cas un peu partout ces temps-ci, et quelques coups d'oeils énervés aux sites Internet du Monde et de Libé me le confirment. Cela dit, il est vrai que la situation au Canada, et plus encore en Colombie Britanique, est sans commune mesure avec la France. L'épidémie est là, et bien là. Quant aux Etats-Unis n'en parlons pas, j'entendais l'autre jour que 400 enfants en sont morts ces derniers mois. Toujours est-il que jusqu'ici, la paranoïa ambiante m'énervait passablement et j'ai joyeusement pris part à quelques débats sur le thème : mais non, arrêtons tout ce délire, c'est un nouveau virus et puis basta.
Et voilà que je me réveille jeudi matin avec un mal à la gorge certain. Je sors prendre le bus, et mes jambes commencent à me faire défaut. Mais qu'est-ce ? je frissonne ? j'ai mal partout ? et voilà. Au pieu. Il a tout de même bien fallu que je m'en sorte pour aller passer mon dernier exam de maths jeudi soir, dans un brouillard fiévreux. Vendredi matin, ma radio se met en marche, le dernier nombre de morts de la grippe en BC est annoncé et longuement discuté. Brusquement, ça ne m'indigne plus tant que ça, je tends une oreille inquiète. En me couchant le soir, j'appelle R. : "tu gardes ton téléphone à côté de toi cette nuit, hein ? Au cas où j'aie un problème, il faut que je puisse appeler quelqu'un ! Veux pas mourir toute seule sur la Vingtième Avenue !"
Et c'est moi maintenant que les gens regardent de travers dans la rue. Si je tousse brièvement, si j'ai le cran de me moucher en public, voilà des regards acérés, des coups d'oeil en coin, et une désapprobation muette : "Nous contamine pas, toi ! Rentre chez toi !" A la fac, même son de cloche : "Vous les grippeux, restez chez vous ! Ne vous déplacez pas."
Au moins j'ai économisé l'argent du vaccin. Toujours ça de pris. Mais je ne pensais pas que l'anniversaire de ma première année canadienne se déroulerait sous de tels auspices...

jeudi 8 octobre 2009

Bis repetita

J'attends le bus, debout adossée au panneau publicitaire. Je lis.
Du coin de l'oeil, je vois arriver tout lentement un petit pépé à casquette. Il avance, il avance, il avance. Jusqu'au moment où il se tient littéralement à trente centimètres de mon visage. Je recule un peu la tête et lève les yeux. Il hurle, avec un grand sourire: "Do you go to that church here?"

mercredi 7 octobre 2009

Ma nouvelle drogue

Ma radio... Radio Canada pour le français, CBC pour l'anglais... Et du coup je ne travaille plus. J'écoute. Et c'est bien.

jeudi 1 octobre 2009

Mon aimant à fanatiques

Tout compte fait, je pense avoir un don. Et pas n'importe lequel. Un don qui pourrait me valoir un poste en vue à la commission anti-sectes. J'attire les fanatiques. Evangélistes, scientologues, témoins de Jéhova, ils sont tous pour moi. Dans la rue, je les repère de loin. Le problème, c'est qu'eux aussi me repèrent. Ai-je vraiment l'air si naïve et innocente ? Pensent-ils vraiment que je vais gober toute leur litanie, dire amen et les suivre à la messe - au temple - je ne sais où ? Ou alors j'ai l'air vraiment bête. Et ils se disent que ça va être un coup facile, que mes trois neurones vont être submergés en deux secondes, plié vendu.
L'affaire Barbara n'était déjà pas mal. Cet après-midi d'ailleurs, en buvant un café avec Kelley, mon ancienne prof, je pleurais de rire en lui racontant les transes et exorcismes auxquels j'avais eu l'immense privilège d'assister... Mais mardi soir, je crois avoir franchi un degré supplémentaire. Mon cours de maths se terminait à 20h30 et j'ai pris le SkyTrain avec une amie, qui, comme moi, s'arrache un peu les cheveux en ce moment sur des projets à préparer en "team work". Nous parlions avec une certaine animation, et j'ai bien failli rater mon arrêt. Une fois sur le quai, j'entends quelqu'un derrière moi : "Excuse me! Excuse me!" C'est une femme qui m'interpelle. Elle était assise face à nous dans le train. "Where are you from? Your body language is very different from people here." Ah bon. Oui, je parle avec les mains, paraît-il. Nous commencons à discuter en attendant le bus. Elle connaît beaucoup les universités de la côte Est, me suggère d'aller à Boston, me parle avec intelligence des normes de communication dans le milieu du business international. Le bus arrive, nous prenons le même. Et le ton change. J'avais déjà compris à quelques détails qu'elle était juive, mais je ne m'étais pas préparée à la suite. Je ne m'attarderai pas sur les détails, car l'énervement me reprend à la simple pensée de ses mots. En somme, elle attendait de moi que je lui confirme son opinion bien arrêtée, à savoir que la France courait à sa perte car elle était envahie par les Arabes. Les émeutes, les agressions anti-juives, puis elle me raconte des histoires terrifiantes auxquelles j'ai bien du mal à croire. Accuse les Français de fermer les yeux (par peur de ces Arabes sanguinaires, bien sûr) et de laisser les Juifs se faire massacrer en toute impunité. "Do your homework, you'll see, you'll see!" "You have to learn all this, you have to understand what's going on in the world!" J'ai commencé à lui répondre, en tâchant de ne pas trop élever la voix, de maîtriser ma colère. Et plus je parlais, plus elle me regardait de haut et avec un mépris bien peu déguisé. Une fois arrivée à mon arrêt, j'ai bondi hors du bus, bouillonant de rage face à cette nouvelle preuve d'intolérance sclérosante, à ces replis identitaires qui détruisent la société, à ces guerres perpétuelles et stupides. Je n'arrive pas à comprendre comment l'on peut en arriver là. Mais je dois dire que les expériences de ces derniers mois m'ont clairement confrontée à cette réalité que je préférerais bien oublier...

mercredi 30 septembre 2009

Le dilemme du poulet KFC

Situons un peu la chose : j'ai passé le week-end dernier à rédiger toute seule une étude de cas supposée être élaborée en groupe. Passons sur le côté pénible des incessants messages: "Euh, y-a-t-il quelqu'un pour répondre ? vous avez des idées ? un mot ? une lettre ?" L'étude de cas en question portait sur la présence des acides gras trans dans l'industrie alimentaire, et les fast foods en particulier. Les trans fats sont ces choses délicieuse qui bouchent insidieusement les artères des fans de McDo, ou tout simplement de ceux qui ne lisent pas ce qu'il y a écrit en bas de l'étiquette, tout petit petit. Vous et moi en somme. J'ai donc passé des heures délicieuses sur les sites de McDo, KFC, Kraft, etc. Du gras, du gras, du gras. Moi qui n'aime que les bonnes choses, toutes naturelles et fraîches !
Mais voilà que depuis dimanche soir, ma propriétaire, une Japonaise adorable qui loge au rez-de-chaussée, m'apporte rituellement ceci :


Oui, une assiette de poulet KFC. Ce soir, je suis rentrée de cours à 22h30 passées... A peine cinq minutes après, j'entends un toquement délicat à ma porte. J'ouvre et me trouve nez-à-nez avec le poulet odorant. "Oh my god, you're so nice! But it's too much, I can't eat all that! you're so sweet!" Quoi dire, quoi faire ? Comme je n'aime pas trop gâcher les aliments, les soirs précédents j'avais entrepris d'éplucher le poulet de toute sa friture et de planquer celle-ci bien au fond de la poubelle. Cela dit, on se rend compte comme ça que le poulet KFC sans le graillou tout autour, en gros, c'est du carton. Mais franchement, revenu à la poele avec des oignons, des courgettes et des mini aubergines locales, ça passe...

mardi 22 septembre 2009

Quand y en a plus, y en a encore (parlant des évangélistes)

L'emplacement est stratégique - le résultat certainement de mon écoute attentive lors de mes derniers cours : "location, location, location". Oui, le secret est là. Plusieurs rues tranquilles, les commerces ni trop loin ni trop près (très utile en ce qui concerne le management efficace des stocks du frigo : "boh, allez, il m'en reste encore un peu, j'irai faire les courses plus tard... et puis il pleut de toute façon") et rien moins que trois bus pour m'emmener où je veux : le 3 et le 8, de part et d'autre de chez moi pour aller en centre-ville, et puis le délicieux 25, direct entre chez moi et Burnaby, où ont lieu deux de mes cours du soir. Délicieux, dis-je, parce que mon cours se termine à 21h45 et le bus passe à 21h48. Le prochain étant à 22h20. Et comme toujours, je suis frileuse, l'automne a à peine débuté et je gèle déjà sur pied en l'attendant.
Hier, j'ai été récupérer quelques provisions intellectuelles à la bibliothèque et pris le bus 8 pour rentrer. Il descend Main Street, tourne sur Broadway, puis reprend Fraser Street jusqu'à la 19e avenue, où je descends. Mais brusquement, au coin de Fraser et Broadway, que vois-je ? Oui, la Canadian Biblical Society. Où travaille Barbara. A trois minutes de chez moi, donc. Je vais peut-être arrêter de prendre le 8 finalement, même s'il me dépose plus près de la maison, et me contenter du 3...

vendredi 11 septembre 2009

Chez moi ? on croise les doigts...

Chez moi, c'est une maison. Cela fait bien dix ans que ça ne m'était pas arrivé.
Pour la trouver c'est simple : marcher sur les empiècements inégaux du trottoir ou sur l'herbe, quand il ne pleut pas. Descendre la rue, dépasser la maison aux statuettes des Sept Nains sur la droite, un peu plus loin, encore des nains - mais ils sont tous pareils ceux-là. A chaque fois, je cherche Blanche-Neige, mais ils ont dû l'oublier. Il n'y a que les deux chevaux du Prince charmant de chaque côté de la porte. On continue. Dépassez St. George St. et vous trouverez une boîte à savon rose fushia à un étage. Voilà. On entre dans un tout petit salon sombre, on monte les escaliers (en moquette, pour peu je me croirais en Ecosse). Sur le palier, on repasse sur du parquet. Là, il y a quatre portes : une salle-de-bains et trois chambres. En face, c'est la cuisine, tout ouverte, donnant sur un salon et deux gros canapés. De là, on peut sortir sur le balcon où trône un énorme barbecue (énorme, comme "américain") et deux gros fauteuils dans lesquels on peut s'enfoncer pour lire avec bonheur... J'y ai passé une partie de cet après-midi... Ma chambre, elle donne sur le salon. J'ai une toute petite salle-de-bains privée, le luxe. Pour le moment, je n'ai pas vraiment de quoi occuper tout l'espace et les murs me paraissent bien blancs, mais je m'en fiche un peu. Je garde la porte ouverte tout le temps. Je me réhabitue progressivement à sentir que, non, je ne dérange personne. Que j'ai le droit d'écouter ma musique sans écouteurs, de regarder des films dans le salon. De vivre, en somme.
A l'étage, nous sommes cinq. Le mot d'ordre : discrétion et gentillesse. On ne se marche pas sur les pieds, mais si l'on a besoin de quelque chose, il y a toujours quelqu'un. Je me verrais bien rester ici un bon moment...

mardi 8 septembre 2009

Retour à Vancouver

Dans l’avion du retour, je me suis fait un torticolis à force de vouloir à tout prix regarder par le hublot… Les montagnes, les montagnes… Il me fallait les voir, le plus vite possible. Au fond de l’estomac, un sentiment étrange, une excitation qui montait peu à peu, l’idée désormais évidente que je rentrais chez moi. Les journées à Paris furent agréables, la ville est belle, me disais-je sans cesse. Mais voilà, je n’y suis pas à l’aise, je m’y sens toujours plus étrangère. Quelque chose ne cesse de s’interposer entre elle et moi. Elle ne me touche pas. Elle n’est plus qu’un morceau de mon passé dans lequel je ne me reconnais pas. Alors qu’ici, bien au contraire, l’espace s’ouvre tout entier, la lumière me fascine et mes synapses à bonheur s’activent frénétiquement…

Jeudi matin, levée avant 6 heures. Les gestes machinaux, le sac-à-dos bien attaché, un dernier trajet en RER. Premier avion pour Amsterdam, je fais le plein de journaux, j’achète Alternatives Economiques et Glamour. Parce que quand même, il faut un peu d’équilibre dans cette vie. Le petit-déjeuner dans l’avion est frugal, mais cet étrange fromage fumé hollandais me plaît bien. Cinq heures d’attente à l’aéroport, de quoi me prendre un grand café et de lire, d’écrire un peu aussi. J’aurais bien voulu faire la sieste, mais aucun lieu ne s’y prête vraiment. Je regarde avec envie un monsieur à barbiche somnoler sur la chaise à côté, le menton sur la poitrine. Il a l’air de dormir vraiment. Je me demande comment il fait.
Je repasse les portiques de sécurité. J’en ai un peu marre de sortir à chaque fois mon ordinateur portable. La place dans mon sac à main est plus que limitée, c’est une belle organisation que de faire tenir tout cela. Je me retrouve toujours accroupie derrière les moniteurs pour réorganiser tout ce fatras. Et puis je finis par m’installer. Neuf heures et quelque de vol. J’ai regardé des films, somnolé un peu. Même pas le temps de lire Glamour. Petit à petit, la joie s’installe. L’euphorie. Rentrer. Cette fois, je ne me suis pas fait avoir : j’ai doublé un max de gens à la sortie de l’avion pour ne pas faire la queue une heure à l’immigration. Questions habituelles : que faites-vous ici ? qu’étudiez-vous ? pourquoi avez-vous quitté le Canada ? Bouledogue. Petite excitation futile de l’arrivée : je peux tester la nouvelle ligne de SkyTrain, qui va m’emmener directement chez Raphaël qui m’héberge pour quelques jours. Finie, l’heure pénible de bus qui se traîne. En centre-ville en quinze minutes. A peine arrivée, je me suis effondrée sur le canapé. J’étais levée depuis plus de vingt heures.

lundi 10 août 2009

Vive la France



La garde de la citadelle de Vauban à Saint-Jean-Pied-de-Port.

jeudi 30 juillet 2009

Dernière soirée





Que pouvais-je demander de mieux : une dernière soirée sur la plage, mode sardine, pour le troisième spectacle de la compétition de feux d'artifices. Après le Canada la semaine dernière (magique, sur la musique du Magicien d'Oz) et l'Afrique du Sud samedi soir (qui a dû faire face à la rude concurrence d'un orage dont les esprits locaux ne se sont pas encore remis, le "tout le monde en parle" actuel - voir ici, ou ), ce soir, la Grande Bretagne était en lice. A mon sens, ils ont vidé les stocks de Buckingham et tout jeté en vrac sans vraiment faire attention à la musique, mais, comme on dit, "c'était joli".




mercredi 29 juillet 2009

L'autre côté

Hier soir, comme dimanche, j’ai dîné dans un délicieux restaurant végétarien sur Main Street, The Foundation. Pour revenir ensuite downtown, j’ai pris le bus de la ligne 8, qui remonte Main et traverse le Downtown Eastside (comprenez : l’autre Vancouver, là où se concentre toute la misère, que l’on a tendance à oublier lorsque l’on vit de l’autre côté, comme toujours) avant de revenir dans le cœur « officiel » de la ville. Tard, les rues sont pleines de ceux qui n’ont de toute façon pas de bout de toit à se mettre au-dessus de la tête. Il n’est pas rare d’y croiser les flics garés en biais sur le trottoir, lumières violentes. Le chauffeur de bus n’ouvre pas forcément ses portes aux arrêts, il vérifie d’abord. Clochards, drogués, prostituées, infirmes. Bousculades par endroits, rassemblements aux pieds de certains immeubles en ruines. La nuit rien n’est calme. Hier soir donc, pour la deuxième fois, je regardais tout cela avec malaise, parce que l’on ne se rend plus compte de ce qui existe ici. Malaise et non peur, car une chose est constante : les gens ne sont pas agressifs. Les vagabonds du centre-ville continuent de s’adresser à vous calmement, poliment presque, ceux qui crient ne crient pas sur les passants, je n’ai jamais vu le moindre signe de violence ou d’agression. Bien sûr, il doit y en avoir aussi, je le sais bien.
Dans ce paysage de misère, dans ce bus étrange, je me suis rendue compte avec un certain amusement que la seule femme habillée avec une certaine coquetterie était en fait… un homme. Asiatique, les cheveux mi-longs lui tombaient sur les épaules. Elle portait une jupe verte étroite et un joli haut à rayures rose pâle qui lui dénudait les épaules. Dans le pli du coude, son sac à main. Elle est montée dans le bus avec un large sourire, gratifiant le chauffeur d’un « Hi honey ! » joyeux. Son rire était incroyablement contagieux et ressemblait un peu à une chute de xylophone… Moi j’étais assise tout à l’arrière, à côté des portes. Une grande femme très maigre est venue s’asseoir à côté de moi. Elle portait un large t-shirt noir et un short très court. Traits marqués, visage en ruines. Elle me touche le bras : « Did you see that boy ? Just got off… Did you see how he was looking at you ? » Moi je n’avais rien vu, trop occupée à observer l’extérieur. « Ya know, I don’t like it when people look like that. I don’t like the way he was lookin’ at you. That’s not polite. This boy, he was not a gentleman. Nope. Not a gentleman. He can’t look at you like you’re just a thing ya know, he can’t do that. » Nous avons parlé quelques instants, puis elle s’est levée pour descendre à l’arrêt suivant, tout comme la femme asiatique que j’ai entendu lancer à un homme assis plus à l’avant : « Well, honey, that’s my life ! » Elle s’est approchée des portes arrière et s’est exclamé en rigolant, ses yeux pétillants plantés dans les miens et remontant sa petite poitrine : « What a heat ! My silicone’s melting ! » J’ai éclaté de rire, elle plus encore, puis elle m’a fait un petit signe de la main en descendant : « Bye love… »

mardi 28 juillet 2009

Sacs, sacs, sacs

Le déménagement le plus rapide du monde, décision prise en deux temps trois mouvements, mais il est vrai que dans les profondeurs de ma tête, je savais bien depuis longtemps qu'il allait falloir sauver mon âme, très précisément. Dans le fond, déménager encore une fois, ne pas savoir où je vais loger à mon retour de France, tout cela est un peu désagréable. Mais c'est le jeu des colocations, je suppose. Des heures passées sur Craigslist à chercher une chambre pour septembre, des dizaines de mails envoyés, pour des résultats médiocres. Je reprendrai tout cela dans un mois.
Mes quelques jours passés à Victoria, sur l'île (voir ici), ont remis les choses en perspective. Du soleil, une rencontre avec une personne magnifique, des repas délicieux, des discussions sans fin : épaules qui se détendent, j'oublie le stress de l'appartement, le sentiment de ne pas être à ma place... Petits moments qui donnent envie d'être chez soi - et qui montrent que cette chambre où je suis encore est tout sauf un chez-moi.
Lorsque j'aurai un peu moins honte de mes mensonges, je raconterai plus en détail mes derniers jours avec Barbara... car, comme elle le dit, je dois désormais vivre avec ce poids sur ma conscience. Oui oui.

mardi 21 juillet 2009

Ma vie avec une évangéliste



J’en parle souvent, je m’en plains souvent, je sais, mais dans mes bons moments, j’arrive à trouver ma vie avec une évangéliste plutôt drôle. Même si, dans le fond, tout cela reste plutôt inquiétant. Vraiment inquiétant. Je ne sais même pas par où commencer…

Il y a eu les séances cinéma avec ses amies, visionnage de documentaires sur l’évangélisation des petits Africains (les « païens », selon ses termes), et Dieu qui doit venir les sauver de leur violence naturelle, les ramener dans la voie de la paix et de la foi. A côté de ce genre de propos et d’idées, les débats bibliques entre amies sur tel ou tel verset me paraissent plutôt bon enfant.
Régulièrement, elle essaye de me persuader d’aller à l’église avec elle. L’idée est la suivante : c’est Dieu qui m’a envoyée à elle, qui a fait en sorte que je trouve cet appartement. La fin du monde est proche et le Seigneur rassemble ses troupes, si j’habite ici, c’est qu’il veut que je revienne dans son giron, parmi ses enfants. Car Dieu m’aime, paraît-il. Il m’aime tellement ! Elle me l’a encore répété tout à l’heure. Avec grands mouvements de bras et sourire lumineux/illuminé.
En ce moment, elle ne travaille pas. Elle est « en prière ». Moi j’appelle ça glander : elle reste dans son lit à lire la Bible, mange, dort, appelle ses amies. Elle marmonne. Elle prie dans « une langue qui n’existe pas », dont elle dit ne pas comprendre le sens, mais qui lui est insufflé par l’esprit divin. Vous vous souvenez des scènes rituelles dans Indiana Jones et le Temple maudit ? Pareil. Je l’ai entendue raconter à une amie qu’elle attendait un signe de Dieu pour savoir si elle devait continuer à travailler ou pas. Je trouve ça plutôt sympa comme situation, je suis certaine que tout le monde aimerait pouvoir attendre un signe divin et se tourner les pouces dans l’intervalle.
Il n’y a pas longtemps, elle était amoureuse. Mille et une questions se posaient sur le niveau de spiritualité de l’homme en question, car évidemment, il faut que les niveaux soient compatibles… C’est là que certains livres sont absolument indispensables, tel le désormais fameux God’s Design for Christian Dating. C’est un peu Mars et Vénus sous la couette, sans la couette.



Mais ce week-end, ce fut la catastrophe. Je n’ai pas encore tous les détails de l’affaire, mais toujours est-il que lorsque je suis rentrée samedi soir, elle était en train de se balancer dans son lit et répétait sans fin « Jesus save me, Jesus save me ». Le lendemain, elle m’a expliqué que Dieu lui avait montré que cet homme n’était pas pour elle, et que ses sentiments lui étaient donc inspirés par le Diable. C’est ballot quand même.
Et cet après-midi, rentrée malheureusement un peu plus tôt que prévu, je l’ai surprise, la musique à fond, plantée au milieu du salon, les bras levés, et hurlant (littéralement) « Praise for Jesus ! Praise for Jesus ! ». Je l’entendais depuis le couloir, dès ma sortie de l’ascenseur.

Plongée intéressante dans le monde du fanatisme. Heureusement pour moi que je suis têtue : ça a parfois ses avantages.

jeudi 9 juillet 2009

Le bonheur de la photo

Depuis avril, j'ai un nouvel appareil, un petit bijou que je balade partout avec moi et que j'apprivoise petit à petit. Et maintenant que j'ai du temps, j'apprends aussi à peaufiner les images sur l'écran de l'ordinateur, je teste, je compare, j'y reviens. Processus inodore, oublié le risque de tremper la pince du bain d'arrêt dans le révélateur, le contact du papier me manque, mais je retrouve enfin tout le plaisir de la photo... Depuis quelques jours, j'ai entrepris de convertir certaines images en noir et blanc, pour faire émerger les formes à nouveau et voir autrement. Je crois que mon oeil reste fidèle au contraste, je n'ai pas encore maîtrisé les couleurs.

Aujourd'hui je suis repartie marcher un long moment dans Lynn Park, en prenant des chemins différents de ceux empruntés lundi. J'ai grimpé vers le sommet, puis suis revenue dans la boucle du Cedars Mill Trail, à couvert, comme toujours. Ces forêts ont quelque chose de démesuré, d'irréel, d'inquiétant parfois... Les arbres semblent d'une hauteur infinie, d'immenses souches trônent à tout endroit, les troncs abattus dessinent des lignes géométriques étonnantes. Ce sont les formes que je regarde ici sans m'en lasser.





mardi 7 juillet 2009

Lynn Headwaters Regional Park

Depuis deux jours, il pleut à nouveau. La vue de ma fenêtre est toute brouillée et je ne vois qu'à peine les bateaux. Un temps à rester derrière la fenêtre d'un café, lire et évaluer le degré d'humidité des chaussures des gens sur le trottoir. Hier matin, après une nouvelle nuit d'insomnie, c'était mal parti. Et puis Raphaël a appelé, et je me suis rendue compte que si je ne me forçais pas à sortir, j'allais passer la journée à dormir et à me maudir ensuite. Direction le pont suspendu de Lynn Canyon. Le projet : une petite balade et un tour sur le pont. Le résultat : pont fermé pour travaux d'entretien, nous commençons à marcher dans le parc et, de fil en aiguille, poussons de plus en plus loin, et montons jusqu'à la cascade (toute petite petite) de Norvan Falls. Il pleut toujours, le chemin se remplit de flaques. J'essaye de prendre des photos en emballant l'appareil dans un sac plastique et en faisant passer le bout de l'objectif par l'anse... Il va falloir que je trouve un système plus pratique si je veux pouvoir continuer à prendre des images dans ce pays de pluie. Retour à la voiture cinq heures plus tard, l'estomac hurlant, les jambes en coton et le sourire sur les lèvres.




samedi 4 juillet 2009

A pied, et ça n'est que le début

Hier, j'ai marché plus de quatre heures sur la côte, de petits chemins en allées larges, sur la route, au bord de la plage, le long de jardins fabuleux. J'ai même cru parfois être en Norvège...
Itinéraire: de Horseshoe Bay (d'où partent les ferrys pour Vancouver Island) jusqu'à Sandy Cove, en passant par Whytecliff park, Fisherman's Cove, Eagle Harbour and Caulfield Cove.

vendredi 3 juillet 2009

Retour sur Terre

Je reviens, je reviens... après des semaines de silence et de dur travail. Désolée à tous ceux à qui je n'ai pas répondu, pas écrit. Désolée pour ce blog qui est resté désespérément muet, mais les semaines qui viennent de passer furent bien remplies et jongler avec deux blogs n'est pas chose facile. Pia sait à quel point j'ai peiné à poster régulièrement sur BookTravellers, sans parler donc de celui-ci...
Ce que j'ai fait:
- étudié, étudié, étudié...
- des maths à la pelle
- de l'économie à ne plus savoir qu'en faire - ou plutôt si, lire des monceaux d'articles de journaux sur Internet, et m'énerver, m'indigner de plus en plus et en plus, parce que je comprends enfin les subtilités de ce qui se passe ici ou là, en France, en Amérique du Nord et au-delà
- cours de commerce international, un dossier de 40 pages sur l'Argentine - et mon document qui explose en vol trois jours avant la date de rendu
- comme cela ne suffisait pas, j'ai aussi décidé de me rajouter un cours intensif sur une semaine, totalement épuisant : mid-term exam le mercredi, final exam le vendredi... comme si j'avais le temps de tout assimiler si vite !
- j'ai bu beaucoup de cafés dans mon Thermos vert, avec du lait (changement moléculaire de ma personne : je déteste le lait - je détestais le lait, plus exactement, et maintenant je m'enfile de grands verres avec délectation... étrange)
- j'ai affronté ma coloc et ses délires mystiques - l'autre jour elle m'a expliqué qu'elle priait dans une langue qui n'existe pas et qu'elle ne comprend même pas, insufflée par l'esprit divin
- je fais une overdose de salade d'épinards
Depuis hier, je suis en vacances, et j'ai bien l'intention d'en profiter... J'aurai donc plus de temps pour écrire, lire, me promener ici ou là (j'ai déjà croisé un serpent lundi, moi qui m'étais préparée aux ours, il m'a prise par surprise).

mercredi 3 juin 2009

Pas le temps, pas le temps

Cela fait des années que je veux lire Alice au pays des merveilles, dont je n'ai même jamais soulevé la couverture - la faute à mon frère probablement, qui à l'âge de quatre ans nous passait le dessin animé en boucle, faisant naître en moi une véritable allergie. Puis Alberto Manguel commença à me faire changer d'avis (Dans la forêt du miroir). Mais les raisons qui m'y font penser aujourd'hui sont un peu différentes. Je suis devenue le Lapin pressé. C'est moi. Le nez sur la montre, pas un moment pour me poser. Peu de temps pour écrire, peu de temps pour lire même. Depuis hier seulement, j'ai pris la bonne résolution d'aller chaque après-midi passer un moment à la plage, pour me griller un peu et briser mon incessant tête à tête avec mon bureau. Les températures ont grimpé de manière folle ces derniers jours. La canicule donne à la ville un petit air de Californie, surtout par chez moi. Ici les shorts ne sont pas des shorts. Ce sont des culottes. Le supermarché à côté a cru bon d'afficher sur la porte d'entrée : "shoes and shirts required". Et moi je continue à mon rythme de prépa... sauf que la prépa à la plage c'est quand même plus agréable...

Emergency management à l'américaine

Serait-ce ma naïveté qui une fois encore me jouerait de vilains tours ? Mon optimisme, mon indéboulonnable graine d'utopie (qu'il serait décidément sage que j'arrache un jour) ? Toujours est-il que je viens de lire ceci dans le New York Times, me rendant compte par là même que j'étais persuadée que les choses à la Nouvelle Orléans avaient repris un cours à peu près normal...

dimanche 17 mai 2009

Entre chien et ours

Non, pas d'ours, bien qu'un panneau à l'entrée du Lighthouse park en signale la présence... Par contre, un gros labrador a décidé que ma présence sur ces sentiers était inopportune. Je grimpais un sentier un peu raide lorsque la bête s'est mise à dévaler la pente en grondant et aboyant. Il m'a bondi dessus, manquant de me faire descendre la côte plus vite que souhaitable, pendant qu'un petit garçon de huit ou neuf ans appelait tout doucement "Heidi come back, come back". Come back et on maîtrise son animal aussi, merci. J'en garde de belles traces de griffures sur le ventre et une main mordillée.
Le reste de la marche fut plus paisible, de petit sentier en crique déserte... jusqu'à midi du moins, lorsque les chemins se sont mis à grouiller de familles venues pic-niquer au bord de l'eau. Mais dans les voies de traverses, pas grand monde, et des arbres absolument gigantesques devant lesquels on se sent tout petit - c'est-à-dire encore plus que d'habitude, en ce qui me concerne.




samedi 16 mai 2009

Préparatifs

Voilà, c'est décidé, demain c'est rando. Ou plutôt petit décrassage en douceur sur la côte, deux ou trois heures, histoire de faire attention au genou avant d'attaquer les montagnes en face... Chaussures, K-Way, gourde, pansements, j'ai tout ce qu'il me faut, sauf un sifflet anti-ours - mais je ne pense pas trop croiser de grizzly sur la plage ni vers les falaises.

dimanche 10 mai 2009

Apprendre à mieux regarder

D'abord, j'ai failli avoir une crise cardiaque. Ensuite, j'ai ouvert les yeux un peu plus et me suis rendue compte que j'avais mal lu.


J'ai continué ma promenade autour de Stanley Park - ou plutôt ma course : j'avais décidé de faire le tour le plus vite possible, 12 ou 13 kilomètres au total, en 1h30, pour oublier les maths, l'éco, et me défouler copieusement. Bien sûr, on a l'habitude, je me suis fait des ampoules.

Vers la fin du parcours, un homme tout maigre aux cheveux longs et chapeau mou retenu par un cordon était en train de terminer une installation étrange... et toute poétique. La plage était couverte de ces bonshommes de pierre qui semblaient tenir comme par magie, en équilibre parfait face à la mer.

vendredi 8 mai 2009

Chut

Je regarde la troisième saison de Weeds pendant que ma colocataire et ses amies débattent avec passion de la Bible et de ses interprétations (parabole, métaphore, exégèse).

Ce soir, pour célébrer le soleil et la plage, je me suis acheté une bouteille de vin. Ensuite, je suis ressortie chercher un tire-bouchon.

mercredi 6 mai 2009

Petit bonheur

La dernière fois que j'ai eu tout juste à un exam de maths, je devais avoir 7 ans et demi.
Ce soir, quelque vingt ans et des poussières plus tard, je suis donc bien fière de moi... et un pied-de-nez à tous ceux que l'idée de me voir reprendre une calculatrice faisait doucement rigoler ! Comme quoi, les miracles, ça existe.

samedi 2 mai 2009

Dans la rue

Au carrefour de Davie street et Homer, je croise une femme en kimono fleuri. Grand nœud dans le dos, elle est obligée de trainer les pieds pour avancer sur ses minuscules sabots si élevés. Elle monte la rue à tous petits pas, les jambes entravées dans le tissu étroit.

Un peu plus loin, c'est un rasta hilare. Il zigzague sur son vélo décoré de fleurs et de branchages et diffuse dans son sillage une senteur épicée peu équivoque. Il est parfois mauvais pour la santé d'arpenter les rues de Vancouver.


Les Canucks continuent de gagner.

Températures estivales. Aux alentours de ma nouvelle maison, les filles se promènent en très mini shorts et les garçons paradent torse nu. La plage est juste à côté.


Il est cinq heures du matin. Par ma fenêtre je regarde le soleil se lever sur la montagne. C'est l'un de ces rares moments de magie qui me font aujourd'hui bénir mes insomnies.

mercredi 29 avril 2009

Bits and pieces
















Et si vous allez vous promener par ici, vous trouverez d'autres photos... un peu moins calmes et paisibles. C'est l'autre Vancouver.

vendredi 24 avril 2009

Welcome to China

Il fallait bien que ça m'arrive... Après quatre mois japonais, me voici en Chine. Le jeudi soir, plus exactement, durant trois heures. Lorsque je suis entrée dans la salle de cours la semaine dernière, j'étais l'une des premières à prendre place. Je me suis installée, j'ai sorti mes affaires. Et puis j'ai commencé à regarder les gens qui entraient. Un Chinois, une Chinoise, une Japonaise, deux Chinoises, deux Chinois, un Chinois, un pas Chinois (Croate je crois), une Mexicaine, trois Chinoises... le nombre est ici approximatif, mais l'idée est claire. Nous sommes environ vingt-cinq, et donc trois intrus dans le lot. Au moins, ces derniers mois, mes amis Japonais étaient-ils forcés de parler anglais durant les heures de cours, l'école imposait une politique du "English only" dont je perçois maintenant toute l'utilité. Car le jeudi soir, au début du cours, durant la pause ou à la fin, pas un mot d'anglais n'est prononcé. Autant dire que je me sens légèrement hors de place dans ce brouhaha qui m'est totalement incompréhensible. Hier soir, je me suis assise à côté d'une minette aux cheveux teints en roux, la mini-jupe de rigueur, le nez plongé dans son cahier. Lorsque j'ai tiré la chaise pour m'installer, elle m'a regardée avec de grands yeux écarquillés, comme si je m'apprêtais à la frapper. Puis elle s'est décalée sur le côté pour être plus loin de moi. J'avoue que ça m'a fait un choc. Là encore, pas de communication possible. Durant les trois heures de cours, la prof nous pose des séries de questions, nous demande de lire une définition, sollicite notre opinion, des bribes d'analyse des situations exposées. Nous sommes deux à répondre. Au bout de deux heures, désespérée par l'ambiance et franchement mal à l'aise, j'ai décidé d'arrêter ; l'autre aussi. Puis la prof s'est brutalement arrêtée : "D'accord, il est où le problème ? On a du temps, nous allons en parler." Personne n'a répondu. Tous ont gardé les yeux baissés. Puis ç'a été la fin du cours, et le brouhaha en chinois a repris.

mercredi 22 avril 2009

Go Canucks, go !

Le timing est parfait, semble-t-il. Au moment où je réintègre psychologiquement ma réalité canadienne, voilà que la ville entre dans une phase de frénésie étonnante. La raison ? Le hockey sur glace, évidemment. What else ? Tout Vancouver tremble et sue et se bat avec les Canucks, véritables héros populaires, icônes indéboulonables de la psyché locale. Mais j'avoue, je n'ai pas vraiment saisi ce qui se passait exactement... Toujours est-il que nos amis en bleu et blanc semblent gagner tous leurs matchs ces temps-ci. Selon Anne, qui tient ses informations de source plutôt sûre, l'équipe victorieuse est celle qui aura remporté le plus grand nombre de confrontations. Et donc les choses semblent se passer plutôt bien ici.



Il y a deux semaines environ, Anne et moi avons été regarder un match dans l'un des pubs du centre-ville. Accoudées au bar, bien sûr nous avons passé plus de temps à papoter qu'à réellement regarder les écrans au-dessus de nous. Mais plusieurs événements nous ont néanmoins fait nous interroger : c'est qu'ils passent leur temps à se taper sur la figure, ces gars-là... Et le plus étrange est que généralement l'arbitre se tient juste à côté et les regarde faire tranquillement. Au bout d'un moment tout de même j'ai fait signe au barman et je lui ai demandé quelques explications sur ce phénomène étrange... C'est ainsi que nous avons appris que les bagarres sont tout à fait autorisées sur la glace, avec quelques règles – il y a quand même des limites, en dépit des apparences, ouf. « C'est ça qui est drôle », m'a dit le grand type derrière le comptoir, « ça pimente un peu le match ! » Pour résumer, les bagarres sont donc institutionnalisées, elles font même partie d'une certaine stratégie de déstabilisation de l'adversaire (on s'en serait douté), à condition que les messieurs impliqués jettent leur crosse au loin et se défassent de leurs gants avant de se cogner dessus. Et la chose dure jusqu'à ce que l'un d'eux tombe. Car on ne frappe pas un homme à terre, code de l'honneur oblige.



La semaine dernière, j'écoutais la radio. Des élections sont à venir au mois de mai en Colombie Britannique et tous les journalistes qui suivent la campagne se désespèrent de constater que les citoyens se sentent bien plus préoccupés par le hockey que par la politique. Tout le monde s'en fiche. Mais comment combattre cela lorsque même les bus affichent « Go Canucks, Go ! » là où figure normalement le numéro de la ligne et la destination, lorsque les voitures, les camions arborent des drapeaux Canucks, lorsque les bars s'y mettent également... Dans la rue, je ne compte plus les fans arborant les t-shirts – filles comprises – et mon prof de maths lundi a commencé son cours, le tout premier, en récapitulant les scores. Hier soir, en cours d'économie, certains avaient leur ordinateur portable connecté sur le match, d'autres suivaient les scores sur leur téléphone, et d'autres encore se sont carrément éclipsés périodiquement pour aller jeter un œil sur les écrans du pub du campus.
Bref, je me sens un peu dépassée. Et de plus, comme le résume très bien Anne avec beaucoup de philosophie : ils ne sont même pas beaux.

vendredi 17 avril 2009

Mais parfois, le temps s'arrête

Le temps file, le temps galope... Déjà de retour depuis trois semaines et je voudrais écrire tellement plus sur l'Argentine. Mais le décalage se fait de plus en plus étrange, entre ma vie ici et mes envies d'écriture qui me rattachent encore à Buenos Aires – et surtout Cordoba.


Un souvenir néanmoins n'a rien perdu de sa force, et je doute qu'il se fane un jour : la seconde où j'ai poussé la lourde porte de l'église jésuite qui jouxte l'université... Je n'arrive pas à me défaire de cette réaction incontrôlable qui me fait parfois fondre en larmes face à trop de beauté. C'est une chose rare, la première fois ce fut lors de la projection d'un film de Cocteau au Grand Théâtre de Bordeaux, puis il y eut la Traviata, les suites pour violoncelle de Bach, la lecture de L'Amour des Maytree d'Annie Dillard l'année dernière. Et l'église de Cordoba. Je ne peux l'expliquer. Ce fut immédiat. Quel phénomène étrange : y repenser simplement pour l'écrire me fait revenir les larmes aux yeux. Je ne saurais dire ce qui m'a ainsi bouleversée, est-ce l'espace immense dénué de colonnes, les plafonds en bois peint et orné de volutes délicates, l'immense autel aux statues si humaines et expressives ? Trouver une explication rationnelle me paraît futile, inutile, hors de propos. L'heure que j'ai passée ainsi, à contempler les moindres détails, à laisser toutes les émotions s'échapper librement de moi, cette heure à elle seule aurait donné toutes ses raisons d'être à mon voyage... Elle ne fut pas seule heureusement, loin de là, mais elle prend une place toute particulière, comme hors du temps, une réconciliation avec la possibilité de la beauté absolue du monde.



Et pourtant, tant de souffrances sont nées de la construction de cette église, je le sais. Elle fut conçue par un Français, non pas un religieux, non pas un architecte, mais un armateur. Que faisait-il à Cordoba, personne ne le sait. La voûte et le dôme sont en bois massif, comme toutes les décorations qui ornent l'église, le pupitre, l'autel, les statues. Mais il n'y a pas de bois aux environs de la ville. Il n'y en a jamais eu. Les Jésuites sont allés chercher les troncs dans les forêts de la région d'Iguazu, à des centaines de kilomètres de là. Le bois descendit par la rivière jusqu'à Santa Fe, puis fut transporté à dos de mules pour rejoindre le chantier. Des esclaves venus d'Afrique étaient chargés du gros œuvre, tandis que tous les ornements intérieurs, retables, peintures, statues furent réalisés dans les missions au Nord par les Indiens guaranis avant de venir prendre leur place. Et comme souvent en Amérique latine, ils mélangèrent leurs propres croyances à la représentation des scènes chrétiennes qui leur étaient commandées. Dans une petite chapelle sur le côté se trouve la statue d'une Marie-Madeleine à la peau rose, aux lèvres entrouvertes, les yeux brillants, elle tend une main délicate vers celui qui la regarde. Elle est d'une intensité humaine rare. J'ai eu bien du mal à m'arracher à sa contemplation.
Et sur ce, Argentine, fin.

mardi 7 avril 2009

L'incident du maté

Bien avant de partir, ça me démangeait... Probablement la nostalgie de mon grand plateau de thés abandonné à Paris... J'aime toutes ces saveurs – et écrire ces simples mots me donne envie d'aller faire un tour à Chinatown dès demain pour refaire le plein de Lapsang Souchong ou de thé au jasmin. Ah, mes théières me manquent !
Dès avant mon départ pour Buenos Aires, je rêvai donc au maté. A peine arrivée au Gecko Hostel, toute dégoulinante de pluie, j'ai bien sûr remarqué sur le comptoir de la réception la bouteille Thermos et la gourde qui la jouxtait. Le mythe était bien réel. Partout, dans la rue, accroupis sur les marches des immeubles, dans les boutiques, discrètement installés dans un coin, tout le monde sirote son maté.
Le dimanche à San Telmo j'ai recroisé Juliette et Benoît sur le marché. En milieu d'après-midi, l'estomac creux, nous sommes partis déjeuner dans l'une des petites rues ombragées et calmes qui jouxtait ce quartier surpeuplé. Après nos salades respectives nous a pris l'envie de goûter enfin à la chose... Première fois pour chacun d'entre nous. Et nous avons frôlé l'incident diplomatique. Le propriétaire de la boutique-restaurant était un homme à l'affabilité antique, soucieux à l'extrême du bien-être de ses clients, délicat et prévenant. Mais le pauvre n'avait pas anticipé notre ignorance absolue... Nous commandons donc notre maté, un pour trois. Il nous apporte bientôt la Thermos et la gourde emplie de l'herbe. A côté, il pose la bombilla. Puis s'esquive à pas légers. Nous nous regardons, ne sachant pas trop comment procéder. Alors nous versons l'eau dans la gourde. Puis, question bête : et maintenant, on plonge la bombilla dans la mixture ? Ce fut ce moment-là que choisit notre hôte pour revenir s'assurer que tout allait bien. Son regard se figea sur le maté. Diable. Qu'avions-nous fait ?


Les yeux de notre homme s'emplirent alors d'un mélange de tristesse et d'anxiété tout à fait étonnant. En bafouillant un peu, nous lui expliquâmes que c'était notre première fois, tout penauds. En s'excusant mille fois, il nous reprit la gourde avec délicatesse et disparut. Instant étrange, trois Français échangeant des regards inquiets et ne sachant plus trop quoi faire. Cinq minutes plus tard, il reparut. Une nouvelle gourde en main. A mots mesurés, un sourire discret revenu sur ses lèvres, il nous montra comment procéder : obstruer l'ouverture de la gourde de la main et secouer plusieurs fois, de manière à créer un espace sur l'un des côtés pour y plonger ensuite la bombilla. Redresser la calebasse, puis verser l'eau en la faisant ruisseler sur la bombilla et non pas sur l'herbe directement. Enfin, goûter. Les premières gorgées furent âpres, étrangement envoûtantes aussi. Promesses de nouvelles saveurs auxquelles s'habituer peu à peu.
Bien sûr, comme tous ceux qui reviennent d'Argentine, j'ai ramené ma propre petite calebasse, cadeau délicat de mes amis pour mon anniversaire. Elle n'a pas encore servi... J'attends d'être enfin installée dans mon nouveau chez-moi le mois prochain pour l'étrenner. Du maté argentin siroté sur mon lit en regardant la montagne par la fenêtre, que rêver de mieux ?

mardi 31 mars 2009

Parenthèse : BookTravellers Inc.

Il y a quelques semaines, en février je crois, Pia a déboulé sur ma ligne Skype avec une idée géniale (comme le sont généralement toutes les choses qui sortent de sa petite tête...). Le résultat : un nouveau blog à quatre mains, sur les livres, les voyages, nos petites manies de lecteurs, nos coups de gueules et aussi nos coups de fourchette. Voilà donc lancé BookTravellers Inc. où tous les lecteurs du monde sont les bienvenus, et les commentaires ou les idées plus encore. Tout ce qui, dans mon voyage, a le moindre lien avec les livres va donc s'y trouver raconté peu à peu... et ça n'est pas mince ! Alors si vous voulez découvrir les plus improbables librairies de Buenos Aires ou manger du homard en lisant Steinbeck avec Pia, c'est qu'il faut aller.

Tango

J'avoue, je n'ai jamais éprouvé la fascination intense pour le tango si souvent observée autour de moi... Quelque chose dans cette danse me mettait mal à l'aise, j'y voyais une violence, une dureté, une froideur dont je préférais me tenir éloignée. Cela restait un mystère qui ne m'attirait pas le moins du monde. Mais il est impossible de venir à Buenos Aires et de fermer les yeux... Brusquement, le tango devenait une des clés qui allaient me permettre de donner sens à mon voyage, de comprendre l'Argentine, de pénétrer un peu plus dans cette culture si nouvelle pour moi. Il ne m'a pas fallu attendre longtemps : le deuxième ou troisième soir, après un repas tout simple et parfait (jambon fumé, salade de tomates, fromage, vin) avec Juliette, Benoît et Anna, nous avons monté l'escalier sombre et raide de La Catedral pour entrer dans un lieu magique. Rien ne m'y avait préparée : la façade du bâtiment est lisse, comme d'une petit usine désaffectée, pas de grande enseigne ni affiches, l'entrée pourrait passer inaperçue, on n'y trouve qu'un type assis derrière une table pour délivrer les tickets d'entrée. Quinze pesos pour prendre un cours – mais pour nous il était déjà trop tard –, dix pour regarder la milonga.





En haut des marches, il faut pousser les portes à droite. La musique est déjà là. La pièce est immense, le plafond à des mètres de hauteur. Lumières tamisées, rougeoyantes et douces autour du bar au fond. Sur les côtés, petits canapés et fauteuils dépareillés autour de tables basses. Entre le bar et la piste de danse sont alignées tables et chaises en tous genres. Les murs sont couverts de tableaux, photos, objets divers et variés. Joyeux bric-à-brac plein de chaleur. Nous nous installons, commandons un verre, et nous laissons très vite happer par le spectacle de la fin du cours. Puis chacun peut aller danser, et cela devient magique. Il se dégage de certains couples une puissance, un bouillonnement d'énergie pourtant tout en retenue qui me surprennent totalement. Fusion des contraires, tension vive, dialogue parfois insoutenable entre l'un et l'autre me semble-t-il... Je n'y connais rien, je n'y comprends rien, je ne peux que ressentir le flot d'émotions intenses qui m'assaillent. J'observe quelques-uns des visages qui expriment une concentration absolue, une profondeur, une vertigineuse descente en soi-même, une forme de soumission à la moindre sensation, au moindre geste ou tressaillement. Comme si le plus minuscule des mouvements avait le pouvoir d'ébranler le monde.




Le soir de mon anniversaire, je suis revenue à La Catedral avec Cathal et Amanda. Nouvel émerveillement. Après la première milonga, deux guitaristes ont pris possession de la scène. Puis un homme les a rejoints au chant. Personne ici n'est professionnel. La passion est leur seul moteur. Je repère certains danseurs que j'avais vus la première fois. Tous sont jeunes. Je ne peux m'empêcher de penser que le tango est une danse verticale, et non pas horizontale. Le déplacement lui-même me paraît accessoire, la tension, le mouvement réel est ailleurs, profondément ancré dans le sol. La dureté, la violence que je percevais jusque-là sont-elles l'expression de la douleur de ce rapport conflictuel à la terre et à l'autre ? J'aurais pu rester des heures et des heures à les regarder.




A Cordoba, enfin, j'ai pu prendre un cours... Franca, Koon, Pete et moi nous sommes mélangés à un groupe aux niveaux variés, dans un autre lieu merveilleux – et caché lui aussi derrière une façade peu avenante. Deux heures sur la piste, à tenter de mettre bout à bout les sensations et les pas. Étrangement, beaucoup de choses me semblent naturelles. J'aime aussi passer du temps à regarder le professeur diriger un couple très jeune et déjà impressionnant. Comment enseigner la retenue et la tension ? Comment parviennent-ils à conjuguer une tension extrême du corps à une telle fluidité ? C'est un mystère qui désormais m'attire plus que tout.

samedi 28 mars 2009

Histoires de bus

Lundi soir, je prends le métro jusqu'au terminal des bus, à Retiro. J'arrive un peu en avance, le temps de regarder les boutiques, les amoncellements d'empanadas et de pâtisseries. Je jette un œil machinal aux stands de magazines et journaux. Il y a des livres aussi. Quelques bestsellers évidemment, Borges toujours, et puis, à ma grande surprise, au milieu de tout cela, du Jung, Sophocle, Foucault. Je l'ai déjà remarqué mille fois dans les librairies, ici il semble tout naturel de lire les grands textes de la psychanalyse, de la philosophie, du structuralisme à la française... Barthes, Blanchot, Freud sont partout – mille fois plus vivants que chez nous. Vivants, tel est bien le mot : j'ai le sentiment que ces auteurs ne sont pas lu par simple exigence intellectuelle, mais ont encore une influence bien réelle sur leurs lecteurs. Bien loin de ce qui se passe en France. Jung donc, comme lecture naturelle pour de longues heures passées dans le bus – là où chez nous l'on se précipiterait sur un Patricia Cornwell ou Amélie Nothomb.

Il est 21h15, l'horaire du départ est dépassé depuis cinq minutes mais les panneaux d'affichage ne signalent toujours rien. J'ai du mal à saisir les annonces au haut-parleur. Dans le doute, je me tourne vers deux petites mamies assises à côté de moi et leur demande si quelque chose a été mentionné au sujet du bus pour Cordoba. Rien. Les minutes passent. Nous discutons. Très vite, elles se mettent à s'inquiéter pour moi et ce bus qui n'arrive pas... En peu de temps je me retrouve avec deux grands-mères attentionnées pour moi toute seule. Elles alternent grands sourires, mots doux et regards soucieux vers le panneau lumineux. Puis enfin, j'entends « Córdoba » résonner dans le hall – elles me confirment « Plataforma 31 ! Suerte linda, suerte ! » J'enfile les bretelles de mon sac et me précipite vers le quai en leur envoyant des baisers. Quelques minutes plus tard, le bus part et je regarde défiler les faubourgs de Buenos Aires.

A Córdoba, je suis vite devenue une habituée de la station des mini-bus qui permettent d'aller se promener aux alentours de la ville... Première excursion à Villa Carlos Paz. Tous les bus ont les rideaux tirés pour protéger du soleil, je repousse un peu le mien pour regarder les paysages. Córdoba est en plaine, mais les collines puis les montagnes ne sont pas si loin. Carlos Paz est derrière la première rangée de monts râpés, à la végétation courte et rare. Sorte de station balnéaire étrange au bord d'un lac dépourvu de plages. Ce que les locaux appellent « playa » sont les sortes de restaurants aménagés au bord de l'eau et offrant une piscine qui vous ferait presque croire que vous vous baignez dans le lac. Le mini-bus fonce dans les descentes. Ou plutôt, le bruit du moteur et les vibrations sont telles qu'on croit aller à toute vitesse. Mais en fait, non.

Pour ma deuxième sortie, je voulais de la montagne et de la marche. A l'auberge de jeunesse, j'avais demandé à Martin à quelle distance se trouvait le village de La Cumbrecita... « Dos horas », parfait. Premier bus jusqu'à Villa General Belgrano. Les paysages sont superbes, on monte peu à peu, surplombant un lac après l'autre. La végétation se fait plus dense, on entre dans des forêts plus touffues. Sur le bord des routes, je regardes les guérites en bois désarticulé qui proposent du « pan casero », viandes, fruits ou légumes.


Au fur et à mesure que nous nous enfonçons, je vois de plus en plus de cavaliers, montés sur les imposantes selles argentines, ornées de métal ou de tissus colorés. A Villa General Belgrano, il faut prendre un autre bus. Cela fait déjà deux heures que je suis en route. Le trajet semble ne pas avoir de fin. Le second autocar est bien moins fringuant que le premier, il s'élance sur une route loin d'être terminée. Pour le moment ce ne sont que des bosses et des virages aigus. Une heure et demie de progression laborieuse et lente. La Cumbrecita enfin. J'ai à peine quatre heures devant moi si je veux pouvoir rentrer à Córdoba le soir. Je pars marcher, au milieu des chalets suisses... La Cumbrecita est un ancien village allemand, on s'y croirait. Les restaurants touristiques en bas proposent choucroute, forêt noire et autres plats typiques. Étrange. Je monte, quitte les sentiers trop courus, prends un petit chemin qui mène jusqu'à une cascade sublime. Restée là une heure à regarder l'eau tomber, je finis par discuter avec une femme assise un peu plus loin. Mon espagnol trébuche encore un peu, trop à mon goût bien sûr. Mais je parviens néanmoins à m'exprimer à peu près et à comprendre ce que l'on me dit. Il faut déjà partir. Je n'ai pas mon billet de retour, il faut l'acheter au conducteur. Il a l'air pressé, je suis la dernière à monter dans le bus, et il se met immédiatement en route... La porte est ouverte car il n'y a pas d'air climatisé. Je suis devant le marche-pied, accrochée comme je peux, tandis que le chauffeur tient son volant de la main droite et de la gauche imprime mon ticket puis fouille dans sa portière et sa poche pour me rendre la monnaie. La route caillouteuse et irrégulière remonte le long de la montagne, elle tressaute et tourne dans tous les sens. Le regard du conducteur va de sa main gauche au prochain virage. Je sens l'air dans mon dos. J'ai un peu peur de me retrouver dans le fossé, soit toute seule, soit avec le bus tout entier, étant donné la situation. Enfin, je récupère mes pièces et vais m'asseoir. C'est mieux comme ça.



Samedi, direction Mayu Sumaj, bout de plage entre les cailloux sur la rivière. Il n'y a plus de place dans le mini-bus, je me retrouve assise à l'avant à côté du chauffeur. Ça me plaît.

Dimanche soir, il faut repartir pour Buenos Aires. Le bus est à 22h30. L'orage a éclaté en fin d'après-midi, il pleut des cordes. Impossible de réserver un taxi, les stations sont vides, il va falloir essayer d'en arrêter un dans la rue. Pete et moi sortons les housses imperméables de nos sacs à dos et nous lançons dehors. La pluie a faibli. Mais tous les taxis sont occupés, lumière éteinte. Nous avançons. Dans une petite rue à droite, un taxi affiche libre. Nous nous précipitons – juste pour voir une femme nous doubler en courant et s'engouffrer par la portière. Sous nos gros sacs et sous la pluie qui a redoublé, nous rageons. Je l'aurais volontiers étranglée. Il ne nous restait qu'une solution : aller au terminal à pied. Et regarder régulièrement derrière nous pour repérer un éventuel sauveur... Vingt-cinq minutes plus tard, trempés jusqu'à la moelle, nous y sommes. Direction les toilettes pour enfiler des vêtements secs. Le temps d'acheter des fruits et de l'eau, il est 22h25 et nous sommes sur le quai. Vingt minutes plus tard, nous n'avons pas bougé. Pete regarde ma montre. Regarde l'horloge qui surplombe les voies. Ma montre retarde de cinq minutes. Moi qui ai toujours angoissé quant aux horaires, prenant garde à être à la gare ou à l'aéroport bien avant l'heure, voilà qu'en Argentine j'apprends à être plus souple, je conçois sans problème d'être à l'endroit dit à peine cinq minutes en avance – et je rate mon bus ??? Quelle ironie. Je nous vois déjà rebrousser chemin sous la pluie et rentrer penauds à l'auberge. Nous attendons encore un peu. Puis, en dernier recours, je redescends à la billetterie la tête basse pour demander si le bus est déjà parti. Le guichetier me lance alors un grand sourire : le bus a eu un problème. La compagnie en envoie deux autres à 23h15 en remplacement. Il change nos billets. Je remonte soulagée. Bien sûr, les bus en question ne se sont pas garés aux voies indiquées, ç'aurait été trop simple. Mais cette fois, nous étions sur nos gardes, et avons fini par nous installer dans les énormes fauteuils inclinables, totalement épuisés. Je me suis endormie immédiatement, comme si j'étais dans mon propre lit.

Conversations de voyageurs

1. Où emmener ses vêtements à laver ? Ou plutôt, où les emmener pour qu'ils ressortent effectivement propres. Martina et ses mille histoires de fringues impossibles à faire laver en Bolivie : ressorties dans le même état, agrémentées simplement de nouvelles taches blanches, savon séché. Amanda, qui travaille dans la mode et commence tout juste son tour du monde avec Cathal, nous lance des regards de plus en plus terrifiés : elle tient à ses habits comme à la prunelle de ses yeux... Aimee en rajoute une couche en racontant comment après cinq mois elle a commencé à repriser ses t-shirts, shorts ou jupes, complètement usés par les voyages et les laveries peu scrupuleuses de Colombie.

2. Aimee : « After Bolivia, believe me, your bowels will never be the same again. » Ici, on parle de diarrhée comme à la maison on discuterait travail : « Alors, c'était comment aujourd'hui ? » Amanda justement vient d'aller faire un tour à l'hôpital allemand de Buenos Aires, condamnée à boire du Gatorade et manger des crackers pendant deux jours.

3. Sujet essentiel en Amérique latine : la drogue. J'avoue, je me suis sentie incroyablement naïve et déconnectée de la réalité. Mes amis irlandais me racontent leurs trips à l'extasy, apparemment devenue monnaie courante à Dublin, anodine, dirait-ils presque. Nous sommes installés au bar de l'auberge, nous avons partagé notre dîner et buvons tranquillement une bouteille de vin argentin. Et peu à peu, je découvre que les uns et les autres ici carburent à la cocaïne. Thomas, baroudeur polonais qui a tout vu, tout parcouru et tout essayé, était devenu la figure phare de l'auberge. Un soir, tous sont sortis en club. Thomas et l'un des Colombiens sont partis chercher de la coke. Revenus en moins de cinq minutes. A Buenos Aires, la chose semble des plus simples. Au moment de repartir en Europe, il a laissé un gramme à Amanda en cadeau. Elle dit ne pas vouloir essayer. Je sens Cathal moins catégorique. Ce qu'ils en ont fait, je ne le sais pas.
A Córdoba, autre style : un soir, nous sommes tous assis dans le patio. Le Tango Hostel est en effervescence : ceux qui s'en occupent reçoivent un immense groupe de leurs amis. L'un d'entre eux s'avance vers nous, nous tend une feuille et nous propose de but en blanc une séance d'hallucinations collectives au « te mezcal ». Sur la feuille est expliqué le rituel, les vertus de la boisson, l'absence de danger – il est tout de même précisé qu'il faut apporter des vêtements de rechange, les plus amples possibles, et que les personnes anxieuses devraient s'abstenir. Sans parler des cardiaques. Personne n'a suivi.

lundi 16 mars 2009

Transports peu communs


Betise : prendre le bus pour traverser la ville de part en part, un vendredi soir a l'heure de pointe, et par 35 degres a l'ombre. La sueur du voisin vous coule sur le bras, les fenetres ouvertes accueillent toutes les emanations des pots d'echappement voisins. Les vehicules sur la route sont a touche touche, ce qui n'empeche personne de rouler a toute allure. Le bus ne fera pas exception. Le premier qui freine a perdu.



Hier soir, Juliette, Benoit et moi montons dans un taxi alpague au coin de la rue. Bientot nous nous agrippons ou nous pouvons, portieres, dossier du siege avant. Le chauffeur se faufile entre les voitures, double de tous les cotes, zigzague comme dans les meilleurs films. La ou le marquage au sol signale trois files de circulation, la realite fait place a quatre, voire cinq, voies simultanees. Les bus forcent le passage a droite, a gauche. Un coup d'accelerateur nerveux et le taxi reussit a passer - par l'operation du saint esprit. Les virages nous propulsent les uns contre les autres. Un coup de frein et je vois la mort arriver. Alors nous nous sommes mis a rire nerveusement, betement. Mais nous sommes arrives entiers.

C'est donc un lieu commun : ici, tout le monde roule comme s'il y avait une femme en train d'accoucher sur la banquette arriere. Pour traverser la route, le pieton doit aussi souvent ruser. Il faut en quelque sorte calculer le laps de temps minimal necessaire pour traverser entre deux voitures arrivant a fond la caisse. Si le conducteur estime que le pieton lui a grille la priorite - car c'est bien dans ce sens-la que les choses fonctionnent - il n'hesitera pas a klaxonner sauvagement, voire accelerer et se rapprocher le plus possible du coupable pour lui faire donner une bonne suee.

Ce soir je prends le bus de nuit pour Córdoba. Autre experience, je verrai bien.