samedi 28 mars 2009

Histoires de bus

Lundi soir, je prends le métro jusqu'au terminal des bus, à Retiro. J'arrive un peu en avance, le temps de regarder les boutiques, les amoncellements d'empanadas et de pâtisseries. Je jette un œil machinal aux stands de magazines et journaux. Il y a des livres aussi. Quelques bestsellers évidemment, Borges toujours, et puis, à ma grande surprise, au milieu de tout cela, du Jung, Sophocle, Foucault. Je l'ai déjà remarqué mille fois dans les librairies, ici il semble tout naturel de lire les grands textes de la psychanalyse, de la philosophie, du structuralisme à la française... Barthes, Blanchot, Freud sont partout – mille fois plus vivants que chez nous. Vivants, tel est bien le mot : j'ai le sentiment que ces auteurs ne sont pas lu par simple exigence intellectuelle, mais ont encore une influence bien réelle sur leurs lecteurs. Bien loin de ce qui se passe en France. Jung donc, comme lecture naturelle pour de longues heures passées dans le bus – là où chez nous l'on se précipiterait sur un Patricia Cornwell ou Amélie Nothomb.

Il est 21h15, l'horaire du départ est dépassé depuis cinq minutes mais les panneaux d'affichage ne signalent toujours rien. J'ai du mal à saisir les annonces au haut-parleur. Dans le doute, je me tourne vers deux petites mamies assises à côté de moi et leur demande si quelque chose a été mentionné au sujet du bus pour Cordoba. Rien. Les minutes passent. Nous discutons. Très vite, elles se mettent à s'inquiéter pour moi et ce bus qui n'arrive pas... En peu de temps je me retrouve avec deux grands-mères attentionnées pour moi toute seule. Elles alternent grands sourires, mots doux et regards soucieux vers le panneau lumineux. Puis enfin, j'entends « Córdoba » résonner dans le hall – elles me confirment « Plataforma 31 ! Suerte linda, suerte ! » J'enfile les bretelles de mon sac et me précipite vers le quai en leur envoyant des baisers. Quelques minutes plus tard, le bus part et je regarde défiler les faubourgs de Buenos Aires.

A Córdoba, je suis vite devenue une habituée de la station des mini-bus qui permettent d'aller se promener aux alentours de la ville... Première excursion à Villa Carlos Paz. Tous les bus ont les rideaux tirés pour protéger du soleil, je repousse un peu le mien pour regarder les paysages. Córdoba est en plaine, mais les collines puis les montagnes ne sont pas si loin. Carlos Paz est derrière la première rangée de monts râpés, à la végétation courte et rare. Sorte de station balnéaire étrange au bord d'un lac dépourvu de plages. Ce que les locaux appellent « playa » sont les sortes de restaurants aménagés au bord de l'eau et offrant une piscine qui vous ferait presque croire que vous vous baignez dans le lac. Le mini-bus fonce dans les descentes. Ou plutôt, le bruit du moteur et les vibrations sont telles qu'on croit aller à toute vitesse. Mais en fait, non.

Pour ma deuxième sortie, je voulais de la montagne et de la marche. A l'auberge de jeunesse, j'avais demandé à Martin à quelle distance se trouvait le village de La Cumbrecita... « Dos horas », parfait. Premier bus jusqu'à Villa General Belgrano. Les paysages sont superbes, on monte peu à peu, surplombant un lac après l'autre. La végétation se fait plus dense, on entre dans des forêts plus touffues. Sur le bord des routes, je regardes les guérites en bois désarticulé qui proposent du « pan casero », viandes, fruits ou légumes.


Au fur et à mesure que nous nous enfonçons, je vois de plus en plus de cavaliers, montés sur les imposantes selles argentines, ornées de métal ou de tissus colorés. A Villa General Belgrano, il faut prendre un autre bus. Cela fait déjà deux heures que je suis en route. Le trajet semble ne pas avoir de fin. Le second autocar est bien moins fringuant que le premier, il s'élance sur une route loin d'être terminée. Pour le moment ce ne sont que des bosses et des virages aigus. Une heure et demie de progression laborieuse et lente. La Cumbrecita enfin. J'ai à peine quatre heures devant moi si je veux pouvoir rentrer à Córdoba le soir. Je pars marcher, au milieu des chalets suisses... La Cumbrecita est un ancien village allemand, on s'y croirait. Les restaurants touristiques en bas proposent choucroute, forêt noire et autres plats typiques. Étrange. Je monte, quitte les sentiers trop courus, prends un petit chemin qui mène jusqu'à une cascade sublime. Restée là une heure à regarder l'eau tomber, je finis par discuter avec une femme assise un peu plus loin. Mon espagnol trébuche encore un peu, trop à mon goût bien sûr. Mais je parviens néanmoins à m'exprimer à peu près et à comprendre ce que l'on me dit. Il faut déjà partir. Je n'ai pas mon billet de retour, il faut l'acheter au conducteur. Il a l'air pressé, je suis la dernière à monter dans le bus, et il se met immédiatement en route... La porte est ouverte car il n'y a pas d'air climatisé. Je suis devant le marche-pied, accrochée comme je peux, tandis que le chauffeur tient son volant de la main droite et de la gauche imprime mon ticket puis fouille dans sa portière et sa poche pour me rendre la monnaie. La route caillouteuse et irrégulière remonte le long de la montagne, elle tressaute et tourne dans tous les sens. Le regard du conducteur va de sa main gauche au prochain virage. Je sens l'air dans mon dos. J'ai un peu peur de me retrouver dans le fossé, soit toute seule, soit avec le bus tout entier, étant donné la situation. Enfin, je récupère mes pièces et vais m'asseoir. C'est mieux comme ça.



Samedi, direction Mayu Sumaj, bout de plage entre les cailloux sur la rivière. Il n'y a plus de place dans le mini-bus, je me retrouve assise à l'avant à côté du chauffeur. Ça me plaît.

Dimanche soir, il faut repartir pour Buenos Aires. Le bus est à 22h30. L'orage a éclaté en fin d'après-midi, il pleut des cordes. Impossible de réserver un taxi, les stations sont vides, il va falloir essayer d'en arrêter un dans la rue. Pete et moi sortons les housses imperméables de nos sacs à dos et nous lançons dehors. La pluie a faibli. Mais tous les taxis sont occupés, lumière éteinte. Nous avançons. Dans une petite rue à droite, un taxi affiche libre. Nous nous précipitons – juste pour voir une femme nous doubler en courant et s'engouffrer par la portière. Sous nos gros sacs et sous la pluie qui a redoublé, nous rageons. Je l'aurais volontiers étranglée. Il ne nous restait qu'une solution : aller au terminal à pied. Et regarder régulièrement derrière nous pour repérer un éventuel sauveur... Vingt-cinq minutes plus tard, trempés jusqu'à la moelle, nous y sommes. Direction les toilettes pour enfiler des vêtements secs. Le temps d'acheter des fruits et de l'eau, il est 22h25 et nous sommes sur le quai. Vingt minutes plus tard, nous n'avons pas bougé. Pete regarde ma montre. Regarde l'horloge qui surplombe les voies. Ma montre retarde de cinq minutes. Moi qui ai toujours angoissé quant aux horaires, prenant garde à être à la gare ou à l'aéroport bien avant l'heure, voilà qu'en Argentine j'apprends à être plus souple, je conçois sans problème d'être à l'endroit dit à peine cinq minutes en avance – et je rate mon bus ??? Quelle ironie. Je nous vois déjà rebrousser chemin sous la pluie et rentrer penauds à l'auberge. Nous attendons encore un peu. Puis, en dernier recours, je redescends à la billetterie la tête basse pour demander si le bus est déjà parti. Le guichetier me lance alors un grand sourire : le bus a eu un problème. La compagnie en envoie deux autres à 23h15 en remplacement. Il change nos billets. Je remonte soulagée. Bien sûr, les bus en question ne se sont pas garés aux voies indiquées, ç'aurait été trop simple. Mais cette fois, nous étions sur nos gardes, et avons fini par nous installer dans les énormes fauteuils inclinables, totalement épuisés. Je me suis endormie immédiatement, comme si j'étais dans mon propre lit.

Aucun commentaire: