mardi 31 mars 2009

Tango

J'avoue, je n'ai jamais éprouvé la fascination intense pour le tango si souvent observée autour de moi... Quelque chose dans cette danse me mettait mal à l'aise, j'y voyais une violence, une dureté, une froideur dont je préférais me tenir éloignée. Cela restait un mystère qui ne m'attirait pas le moins du monde. Mais il est impossible de venir à Buenos Aires et de fermer les yeux... Brusquement, le tango devenait une des clés qui allaient me permettre de donner sens à mon voyage, de comprendre l'Argentine, de pénétrer un peu plus dans cette culture si nouvelle pour moi. Il ne m'a pas fallu attendre longtemps : le deuxième ou troisième soir, après un repas tout simple et parfait (jambon fumé, salade de tomates, fromage, vin) avec Juliette, Benoît et Anna, nous avons monté l'escalier sombre et raide de La Catedral pour entrer dans un lieu magique. Rien ne m'y avait préparée : la façade du bâtiment est lisse, comme d'une petit usine désaffectée, pas de grande enseigne ni affiches, l'entrée pourrait passer inaperçue, on n'y trouve qu'un type assis derrière une table pour délivrer les tickets d'entrée. Quinze pesos pour prendre un cours – mais pour nous il était déjà trop tard –, dix pour regarder la milonga.





En haut des marches, il faut pousser les portes à droite. La musique est déjà là. La pièce est immense, le plafond à des mètres de hauteur. Lumières tamisées, rougeoyantes et douces autour du bar au fond. Sur les côtés, petits canapés et fauteuils dépareillés autour de tables basses. Entre le bar et la piste de danse sont alignées tables et chaises en tous genres. Les murs sont couverts de tableaux, photos, objets divers et variés. Joyeux bric-à-brac plein de chaleur. Nous nous installons, commandons un verre, et nous laissons très vite happer par le spectacle de la fin du cours. Puis chacun peut aller danser, et cela devient magique. Il se dégage de certains couples une puissance, un bouillonnement d'énergie pourtant tout en retenue qui me surprennent totalement. Fusion des contraires, tension vive, dialogue parfois insoutenable entre l'un et l'autre me semble-t-il... Je n'y connais rien, je n'y comprends rien, je ne peux que ressentir le flot d'émotions intenses qui m'assaillent. J'observe quelques-uns des visages qui expriment une concentration absolue, une profondeur, une vertigineuse descente en soi-même, une forme de soumission à la moindre sensation, au moindre geste ou tressaillement. Comme si le plus minuscule des mouvements avait le pouvoir d'ébranler le monde.




Le soir de mon anniversaire, je suis revenue à La Catedral avec Cathal et Amanda. Nouvel émerveillement. Après la première milonga, deux guitaristes ont pris possession de la scène. Puis un homme les a rejoints au chant. Personne ici n'est professionnel. La passion est leur seul moteur. Je repère certains danseurs que j'avais vus la première fois. Tous sont jeunes. Je ne peux m'empêcher de penser que le tango est une danse verticale, et non pas horizontale. Le déplacement lui-même me paraît accessoire, la tension, le mouvement réel est ailleurs, profondément ancré dans le sol. La dureté, la violence que je percevais jusque-là sont-elles l'expression de la douleur de ce rapport conflictuel à la terre et à l'autre ? J'aurais pu rester des heures et des heures à les regarder.




A Cordoba, enfin, j'ai pu prendre un cours... Franca, Koon, Pete et moi nous sommes mélangés à un groupe aux niveaux variés, dans un autre lieu merveilleux – et caché lui aussi derrière une façade peu avenante. Deux heures sur la piste, à tenter de mettre bout à bout les sensations et les pas. Étrangement, beaucoup de choses me semblent naturelles. J'aime aussi passer du temps à regarder le professeur diriger un couple très jeune et déjà impressionnant. Comment enseigner la retenue et la tension ? Comment parviennent-ils à conjuguer une tension extrême du corps à une telle fluidité ? C'est un mystère qui désormais m'attire plus que tout.