mercredi 29 juillet 2009

L'autre côté

Hier soir, comme dimanche, j’ai dîné dans un délicieux restaurant végétarien sur Main Street, The Foundation. Pour revenir ensuite downtown, j’ai pris le bus de la ligne 8, qui remonte Main et traverse le Downtown Eastside (comprenez : l’autre Vancouver, là où se concentre toute la misère, que l’on a tendance à oublier lorsque l’on vit de l’autre côté, comme toujours) avant de revenir dans le cœur « officiel » de la ville. Tard, les rues sont pleines de ceux qui n’ont de toute façon pas de bout de toit à se mettre au-dessus de la tête. Il n’est pas rare d’y croiser les flics garés en biais sur le trottoir, lumières violentes. Le chauffeur de bus n’ouvre pas forcément ses portes aux arrêts, il vérifie d’abord. Clochards, drogués, prostituées, infirmes. Bousculades par endroits, rassemblements aux pieds de certains immeubles en ruines. La nuit rien n’est calme. Hier soir donc, pour la deuxième fois, je regardais tout cela avec malaise, parce que l’on ne se rend plus compte de ce qui existe ici. Malaise et non peur, car une chose est constante : les gens ne sont pas agressifs. Les vagabonds du centre-ville continuent de s’adresser à vous calmement, poliment presque, ceux qui crient ne crient pas sur les passants, je n’ai jamais vu le moindre signe de violence ou d’agression. Bien sûr, il doit y en avoir aussi, je le sais bien.
Dans ce paysage de misère, dans ce bus étrange, je me suis rendue compte avec un certain amusement que la seule femme habillée avec une certaine coquetterie était en fait… un homme. Asiatique, les cheveux mi-longs lui tombaient sur les épaules. Elle portait une jupe verte étroite et un joli haut à rayures rose pâle qui lui dénudait les épaules. Dans le pli du coude, son sac à main. Elle est montée dans le bus avec un large sourire, gratifiant le chauffeur d’un « Hi honey ! » joyeux. Son rire était incroyablement contagieux et ressemblait un peu à une chute de xylophone… Moi j’étais assise tout à l’arrière, à côté des portes. Une grande femme très maigre est venue s’asseoir à côté de moi. Elle portait un large t-shirt noir et un short très court. Traits marqués, visage en ruines. Elle me touche le bras : « Did you see that boy ? Just got off… Did you see how he was looking at you ? » Moi je n’avais rien vu, trop occupée à observer l’extérieur. « Ya know, I don’t like it when people look like that. I don’t like the way he was lookin’ at you. That’s not polite. This boy, he was not a gentleman. Nope. Not a gentleman. He can’t look at you like you’re just a thing ya know, he can’t do that. » Nous avons parlé quelques instants, puis elle s’est levée pour descendre à l’arrêt suivant, tout comme la femme asiatique que j’ai entendu lancer à un homme assis plus à l’avant : « Well, honey, that’s my life ! » Elle s’est approchée des portes arrière et s’est exclamé en rigolant, ses yeux pétillants plantés dans les miens et remontant sa petite poitrine : « What a heat ! My silicone’s melting ! » J’ai éclaté de rire, elle plus encore, puis elle m’a fait un petit signe de la main en descendant : « Bye love… »

2 commentaires:

marie a dit…

tres beau ce texte, une magnifique description

julie a dit…

Merci ! Je crois que les personnes les plus belles ne sont pas forcément là où l'on s'attend à les trouver...